Clins d’oeil 21-25

  • L’expression arabe samt ar-raʾs signifie « chemin au-dessus de la tête ». Les traducteurs du Moyen Âge confondent le /m/ de samt avec le /ni/ latin; le mot devient zenit, zenith puis zénith. En astronomie, il revêt le sens de « point imaginaire du ciel situé directement à la verticale d’un observateur » et, au figuré, « apogée »,«  point culminant d’une évolution, d’une action. » Le français adoptera plusieurs autres mots pris à l’arabe, directement ou par l’intermédiaire d’autres langues, tels amiral « émir de la mer », azimut, carafe, chiffre, harem « ce qui est défendu », hasard, jupe, momie, talc, tasse.
  • Fou vient du latin follis qui signifie, non pas « déraisonner », mais « souffler, gonfler »; le fou de l’Antiquité ayant le cerveau comme un ballon : la tête légère, le raisonnement creux. Aujourd’hui, le mot ne s’emploie plus en psychiatrie, remplacé par des termes plus distinctifs : aliéné, dément, déséquilibré, exalté, fantasque, forcené, hystérique, illuminé, irrationnel, malade mental, névrosé, obsessionnel, paranoïaque, pervers, psychopathe, schizophrène. Pourtant, au quotidien, il se porte à merveille et s’applique maintes fois par jour : plus on est de fous, plus on rit, fou rire, succès fou; au Québec, lâcher son fou « faire des pitreries », fou comme un balai.
  • Braies provient du gaulois braca qui désigne un large pantalon masculin, serré vers le bas, en usage chez ces irréductibles guerriers et les Germains, ancêtre des chausses, caleçons et culottes. Les Romains, par l’intermédiaire du provençal, empruntent le mot dont est également issu braguette qui décrit l’ouverture ménagée sur le devant du pantalon. Débraillé, autre dérivé, qualifie d’abord une personne dont la ceinture retenant les braies est dénouée, puis un vêtement relâché mais loin du sagging actuel, qui tombe sans grâce en bas des fesses. Par extension, le mot s’applique désormais à un individu habillé de façon négligée, réputé faire preuve de désinvolture dans ses manières et sa conversation.
  • Tous les coups sont permis s’il s’agit de clichés littéraires. Les écrivains les dépeignent sous forme de grêle : grêle de coups. Mieux : avalanche de coups. Coups de boutoir évoquent les heurts d’un pénis en érection dans la prose érotique. Mais aussi les chocs violents provoqués par la submersion marine, l’abaissement des plages, le grignotage des dunes et l’effondrement des falaises : coups de boutoir du vent, coups de boutoir de l’océan. Bien sûr, les portes claquent comme les coups de feu et les coups de fouet. Et la nuit, quand tous les chats sont gris, une horloge fera résonner, en les égrenant, les douze coups de minuit.
  • La syntaxe est l’ossature d’une langue. Le lexique en est la chair et la peau. Les mots, plus qu’un moyen d’expression, condensent en eux toute la vitalité de la langue. Il y a ceux qui pèsent, d’autres qui sont lisses, rugueux, éclatants. Qui séduisent par leurs nuances, leurs subtilités : urbanité ou civilité, courtoisie ou politesse, orgueil ou vanité, misère ou indigence. Une langue, c’est la vibration des sons, le chatoiement des sens, le clair-obscur de l’étymologie, laquelle représente la trace narrative de la vie des mots, le compte rendu de leurs aventures. Aimez votre langue. Elle porte en elle la charge émotive de votre identité.